Mes petits zèbres,
Je vais vous parler d’un temps qui va vous paraître préhistorique. Quand j’étais petite, les soirs d’élection, je suivais votre grand-père dans sa tournée des bureaux de vote. On avait passé la journée à supputer, et dès 18 heures, on partait à l’assaut de cette chose extraordinaire à mes yeux qu’était le dépouillement. Le nom seul suffisait à me fasciner. J’aimais le son du dépouillement, avec sa litanie de noms égrenés, marque orale de l’expression démocratique, avec aussi le bruit des petites enveloppes bleues qu’on ouvre, le silence un peu tendu des uns et la joie discrète des autres quand l’un des candidats semblait se détacher. L’incertitude de tous quant à l’issue du scrutin national. Il fallait tenir encore deux heures, deux longues heures, avant de connaître le nom du vainqueur. Alors en attendant, on notait des chiffres sur des bouts de papier, on palabrait pour savoir si « ça avait beaucoup voté », on faisait des savants calculs, ça sentait la Gitane Maïs et la Gauldo, il y en avait qui se serraient la main de loin, parce qu’ils n’étaient pas tout à fait du « même bord », et puis à 20 heures, tout le monde se retrouvait devant la télé, pour guetter avec fébrilité le visage du président. C’était excitant, c’étaient les soirées d’élections 1.0.
Vous, mes petits zèbres, venez de vivre vos premières vraies élections présidentielles, de celles dont vous vous souviendrez, de celles dont on a parlé en famille, où vous avez commencé à comprendre le sens des mots démocratie, république, président, élections… ou du moins avons-nous essayé de vous les faire comprendre votre père et moi. Le 6 mai, nous sommes allés voter en famille, et ce jour-là, j’ai eu beaucoup de mal à vous expliquer qu’il faudrait attendre le soir 20 heures pour avoir le résultat officiel… J’ai bien pris soin d’insister sur « officiel », mais je pense que cet « officiel » vous est un peu passé au-dessus. Vous avez inconsciemment appris le sens du mot officieux, puisque dès l’heure du déjeuner, les premiers sondages sortie des urnes étaient consultables sur le site Internet de la Tribune de Genève, et tweetés à volonté sur le réseau-de-microblogging. Le matin déjà, on avait eu sur Twitter les résultats des Dom-Tom à la mode #radiolondres. Et dès la fin d’après-midi, les sondages publiés sur les sites belges confirmaient la victoire de François Hollande. Le suspens était certes assez mince, mais voilà, la « grand messe du 20 heures » s’était vidée de toute surprise : Internet, et les réseaux sociaux, ont grillé la soirée électorale, et ont ôté toute sa saveur au dépouillement. Nous avons vécu en ce mois de mai 2012 les premières vraies soirées d’élections à la mode 2.0, et une fois de plus, cet univers de moins en moins parallèle que constitue Twitter a montré sa puissance de feu par rapport aux médias traditionnels en matière de « breaking news ». Pas étonnant que lorsque, par principe, je vous ai appelés quelques minutes avant 20 heures pour vous dire que la télé allait bientôt annoncer *officiellement* le nom du vainqueur, vous m’ayez répondu : « Ben on s’en fiche, on a Twitter ! ».
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