Il y a un peu plus d’un an, à l’automne 2012, la Défenseure des enfants, Marie Derain, remettait son rapport annuel, intitulé « Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique ». Particulièrement dense, ce rapport examinait les évolutions propres aux usages des plus jeunes sous l’éclairage des droits de l’enfant. Marie Derain notait ainsi dans l’introduction : « La nouvelle étape franchie par la multiplication des smartphones et tablettes rend Internet accessible en tout lieu et à tout moment, comme un réflexe, comme une habitude, instaurant ainsi des usages nomades des outils et des contenus numériques. Ce monde encore souvent qualifié de virtuel par les adultes est pourtant bel et bien réel pour les enfants. » Nous avons eu récemment l’occasion de rencontrer Marie Derain, et de lui demander, un an après la publication du rapport, de faire un point, notamment sur le rôle des parents, et sur l’épineux problème du droit à l’oubli numérique. Interview.
Qui peut saisir la Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits ?
Tout le monde peut nous saisir, parents, enfants, associations liées à l’enfance, en vertu de la loi organique du 29 mars 2011 créant le Défenseur des droits. Notre institution peut également s’autosaisir. Cela a été le cas récemment par exemple concernant l’histoire de la petite Adélaïde, abandonnée par sa mère sur la plage de Berck, noyée, et enterrée dans une fosse commune. Nous œuvrons actuellement afin que cette enfant ait une identité, une sépulture digne, et qu’il y ait une trace d’elle sur terre.
Et concernant plus spécifiquement la vie numérique des enfants, sur quels motifs vous saisit-on ?
Nous sommes saisis sur deux modes : le premier est la montée en puissance de phénomènes de société qui impliquent les droits de l’enfant. Le second, qui est plus fréquent, est la demande de conseil, comme par exemple le cas de parents qui ne savent pas où s’adresser pour faire retirer un contenu inapproprié présent sur Internet.
Pour chaque type de problème, nous renvoyons vers les organismes compétents : vers la CNIL lorsque les données personnelles sont en jeu ; vers le CSA si c’est un problème lié aux programmes audiovisuels ou vers l’AFA (association des fournisseurs d’accès) s’il y a un problème impliquant un système de contrôle. Nous pouvons aussi être amenés à contacter l’hébergeur, le site lui-même. Parfois, nous contactons directement un fabricant : cela a été le cas avec cette personne qui nous a contactés après que la liseuse qu’elle avait achetée pour son enfant ait été livrée avec un ebook érotique…
Et puis il y a ceux qui sont de mauvaise volonté, ceux avec lesquels nous ne réussissons pas ou difficilement à établir de contact. C’est le cas de Facebook, avec qui la coopération est très difficile. Alors que l’on note par exemple du côté de l’AFA une volonté d’être attentif aux droits de l’enfant, avec des réponses techniques concrètes.
De manière générale, avec le Défenseur des droits nous nous manifestons dès lors que nous estimons que les droits de l’enfant ne sont pas respectés comme ils devraient l’être. Ainsi, récemment, nous avons travaillé sur un axe prévention, qui n’était pas du tout abordé par le groupe de travail interministériel sur la cybercriminalité. Il faut toujours avoir le pied dans la porte pour se faire entendre…
Le Net est-il plus dangereux que la rue ?
Je ne pense pas, mais il est perçu comme tel par les parents qui ne connaissent pas ou très mal les usages d’Internet. C’est là tout l’enjeu : faire en sorte que les parents s’intéressent à ce qui se passe en ligne, et accompagnent leurs enfants sur les écrans. C’est une nécessité de ne pas laisser un enfant seul sur Internet.
Pourtant, les parents sont présents sur les réseaux sociaux, et notamment pour régler leurs conflits familiaux : nous avons récemment été saisis par un père, dont l’ex-femme avait diffusé sur Dailymotion une vidéo montrant à quel point leur enfant était perturbé par la séparation… Nous avons donc demandé à la mère de ne pas diffuser cette vidéo. De la même manière, un père avait diffusé sur son blog une décision de justice…
Quelle est la proportion du numérique dans les plaintes que vous recevez ?
Nous recevons tous les ans environ 4000 réclamations, concernant 5000 enfants. Sur ces 4000 cas, la proportion liée au numérique est anecdotique : elle représente moins de 2% mais reste pour le moins un sujet que nous prenons très à cœur avec le Défenseur des droits, parce que c’est un sujet émergeant. Et rappelons que si nous intervenons pour 5000 enfants chaque année, plus de 15 millions d’enfants vivent en France.
Vous préconisez le droit à l’oubli numérique. N’avez-vous pas peur d’une forme de déresponsabilisation ?
Le droit à l’oubli numérique est de toute façon techniquement compliqué. Mais il est nécessaire de faire de la prévention, et de pouvoir offrir la possibilité de faire retirer des contenus. D’autant que l’on constate que si la prévention mise en place depuis plusieurs années porte ses fruits avec des lycéens de plus en plus lucides quant à leur utilisation des réseaux sociaux, les plus jeunes, les enfants de 9/10 ans, sont aujourd’hui en première ligne, avec des actions de prévention qui les ciblent beaucoup moins. Il y a une directive européenne en discussion, avec un volet enfant, c’est tout l’intérêt d’avoir cette possibilité. Le bon comportement sur le Net, c’est comme le savoir-vivre. Une question de respect.
Site : défenseur des droits
Propos recueillis par Laurence Bee
En tant que bibliothécaire, j’interviens en collège auprès de classes de 6eme pour discuter de ce que l’on peut faire et ne pas faire sur le net. A chaque début de séance je demande qui possède un ordi ou autre accès au web et je demande si les élèves ont des discussions de ce qu’ils font avec leurs parents. Dans 99.9 % des cas, ils sont seuls à surfer et en plus dans leur chambre. Je suis effarée. Il y a vraiment un sacré travail à faire envers les adultes.
Merci pour votre témoignage.
Complètement d’accord avec vous, je pense que le principe d’un ordinateur dans une pièce de vie accessible à tous est la meilleure solution d’accompagnement des enfants. Mes enfants savent que je peux voir et entendre ce qu’ils font, que si je suis inquiète, je vais m’approcher, que s’ils veulent mon avis, il suffit de me montrer … ça les rassure autant que moi, sans être trop intrusif.