Je pose la question : les réseaux sociaux sont-ils fatigants ? Je m’explique. Tout est parti d’une copine. Une copine qui n’est pas sur Facebook. Ce qui, rappelons-le, est le cas d’environ 90 % de la population mondiale. Cette copine n’en voit pas l’intérêt. C’est son droit, évidemment.
Mais avec les réseaux, justement, et l’avènement du « temps réel », j’ai perdu l’habitude d’échanger avec elle par mail, de manière privée ; ce que nous faisions souvent. Avant. Comme j’aimerais trouver un moyen d’avoir plus souvent de ses nouvelles, je l’ai invitée à rejoindre Path, réseau plus intimiste, sur smartphones, qui me semblait mieux adapté à sa première incursion sur les réseaux sociaux. Voilà sa réponse, telle qu’elle l’a dictée à son Siri : « J’ai téléchargé l’application, mais ça m’a fatiguée ensuite de remplir toutes les informations, désolée ». C’est là que j’ai tilté. Le mot a résonné, il y a eu comme de l’écho : ce que des millions d’internautes font désormais de manière quasi automatisée – décliner son identité, ses contacts, définir son profil, son image – peut apparaître comme « fatigant ». J’ai trouvé le mot assez juste. Le cerveau des utilisateurs des réseaux sociaux est paramétré : il connaît les usages, il sait, au moins dans les grandes lignes, ce qu’il peut, et ce qu’il doit laisser échapper comme informations personnelles pour obtenir sa place numérique. Une forme d’auto-censure, ou d’auto-promotion, ou d’auto-publication, selon l’angle où l’on se place. En tous cas une norme intégrée. Mais fatigante à la longue… Un peu comme si on nous demandait nos papiers à chaque fois que l’on se déplace quelque part.
J’ai compris ce que voulait dire ma copine. Je remplis tous ces formulaires –du simple mot de passe à la création d’une identité complète– sans broncher, par curiosité, et surtout par habitude, parce que je sais que je vais en retirer un avantage, à la fois personnel et professionnel. Mais pour ma copine, qui n’a pas franchi le pas, c’est « fatigant ». Et je comprends.
Il y a, quand on y réfléchit, une certaine lourdeur à penser et organiser sa vie en ligne, à gérer cette double vie, en plus du quotidien d’une famille, numérique ou non… Entendons-nous bien : cette double vie, je l’ai voulue, choisie, et j’en tire profit. Mais à la longue, cela peut « fatiguer », oui.
J’ai donc été finalement assez peu étonnée, hier, de tomber, au cours de ma veille quotidienne, sur une étude américaine qui mentionnait une « Facebook fatigue », en anglais dans le texte. Les « early adopters », les premiers utilisateurs, commenceraient, selon cette étude, à se lasser de Facebook. Ils y seraient moins présents, y enverraient moins de messages.
Un autre signe de fatigue se dessine, sur Twitter cette fois-ci, avec l’apparition, discrète pour le moment, du hashtag (ce mot point de repère qui s’accompagne du dièse pour le repérer ) : #socialfatigue. Signaler son absence des réseaux ? #socialfatigue Coup de mou ? #socialfatigue… La fatigue devient donc elle aussi sociale, au même titre que le Web et les réseaux. Elle devient virale, ce qui est, somme toute, physiologiquement normal.
Cette fatigue qui se dessine est aussi certainement une conséquence de tous les dangers, réels et fantasmés, que l’on fait peser sur ces outils. L’angoisse finit par surmener nos disques durs, auxquels un peu de légèreté et une bonne défragmentation de temps à autre ne nuirait pas.
Dans ces conditions, faut-il déconnecter, comme l’a fait l’auteur Thierry Crouzet ? Quand j’ai, moi aussi, totalement déconnecté pendant quatre petits jours, je me suis effectivement « reposée ». Je n’avais plus cette impression d’avoir la tête partout à la fois, clic et nunc. J’avais eu besoin de débrancher pour recharger les batteries.
Après la surprise et l’excitation, légitimes, des débuts des réseaux sociaux, et la découverte d’un nouveau monde numérique, plein de promesses, une phase de repos s’annonce peut-être, histoire de mieux digérer les excès, et de repartir avec des mémoires encore plus vives. Cette phase ne serait après tout qu’une preuve de l’humanité des réseaux, au final très perméables aux émotions.
Alors, les réseaux sociaux sont-ils fatigants ? Ou leurs utilisateurs ont-ils besoin de vacances ? Après les congés payés, inventons donc, en cette période de vaches maigres, les congés sociaux : une présence allégée sur les réseaux, paisible, à la fraîche, détendue du clic…
Bonjour, je découvre votre blog ce matin et je m’empresse d’y laisser un petit commentaire. J’ai un peu l’impression de trouver mon chez moi. Trois ados tous branchés et moi, pas moins :) Et pour répondre à votre question, je pense que oui, les réseaux sociaux sont fatigants. Tout simplement, parce qu’à cause d’eux nous sommes dans l’action permanente. Mille chose à faire, ou mille pages à visiter … C’est fatigant parce que cela solicite en permanence notre attention. Nous (enfin les mamans) sommes bien souvent sur les réseaux sociaux en même que nous nous occupons de nos tribus, préparons les repas… Entre deux lessives , etc… Nous devrions au contraire apprendre à être présent , au jour le jour, entièrement à ce que nous faisons. Faire les choses en conscience… Et les réseaux sociaux nous ont totalement privés de cela…Alors quelques jours déconnectés, même si l’on appréhende un peu, c’est au contraire salutaire pour notre équilibre il me semble. Merci en tout cas pour ce bel article.
Il me semble que vous parlez là de deux fatigues bien différentes a priori. La première est une fatigue proche de celle que connaissent bien des non-usagers de l’internet. Quand on ne maîtrise pas les codes, quand on n’a pas de stratégie, quand il faut faire l’effort de comprendre pour apprendre, nous avons tous tendance à repousser l’opportunité – d’autant qu’on n’en mesure pas toujours, avant, les avantages (et les inconvénients). L’autre fatigue, celle de l’infobésité, est justement celle des inconvénients de ceux qui ont accepté de jouer le jeu du numérique (ou de tout autre chose). La même double coupure se ressent par exemple pour ceux qui s’engagent en politique ou dans la vie associative : il y a ceux qui ne sont pas intéressés et ceux qui souffrent d’être trop dedans. La première fatigue pose la question de savoir si on en a l’usage (ai-je besoin du mail ? du web ? de Facebook ? pour beaucoup, c’est loin d’être sur), la seconde est celle de l’autorégulation de notre propre usage (et le livre de Crouzet est une bonne illustration des excès dans lequel cela peut nous entraîner si on ne définit pas d’objectifs, de stratégies ou de méthodes : et si systèmes ont tendance à n’en donner aucune).
@BBulletinBNotes Oui, les réseaux sociaux sollicitent notre attention. Et parfois, ils peuvent aussi nous permettre d’échanger autour de thématiques communes, et cela peut s’avérer précieux… Merci pour votre commentaire !
@Hubert Guillaud Vous avez tout à fait raison, il s’agit de deux fatigues différentes. Mais jusqu’à maintenant, l’association des mots « fatigue » et « vie numérique » ne me paraissait pas évidente. L’aspect numérique de nos vies est souvent vécu de manière positive, synonyme de simplicité, de « clic », d’instantanéité, de gain de temps, etc., mais pas de fatigue. Le fait que cet état de fatigue (traditionnellement associé à une activité physique, même si nous sommes d’accord qu’ici cela relève davantage d’une certaine lassitude) s’applique à une activité qui relève du non visible, du « non physique », est à mon sens assez révélateur de la place de plus en plus grande que prennent les activités websocialisantes, y compris chez ceux qui n’en ont pas un usage fréquent. Et cette vie numérique n’échappe pas, comme vous le soulignez, aux excès, nous rappelant que nous devons rester maîtres de nos connexions. Merci de votre contribution.
Il me semble que c’est avant tout l’utilisation que l’on fait de ces réseaux qui s’avère fatigante et non les réseaux en soi. Il est vrai que l’on peut rapidement se faire happer par l’aspect « Mise à jour permanente » d’internet et des réseaux sociaux.Mais il suffit de se poser nos propres limites et de les respecter. Après tout le monde n’y arrive pas nécessairement, et pour certains c’est encore plus compliqué du fait de leur vie professionnelle.